Le foncier innovant : une entreprise de sabotage du plan cadastral en bande organisée

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Qu’est-ce que le cadastre ?

Le cadastre en France rassemble les plans et les fichiers fiscaux qui recensent les propriétés immobilières, et ce, dans le but notamment d’asseoir plusieurs impôts : Taxe sur les propriétés bâties et non bâties, Taxe d’habitation et Cotisation foncière des entreprises. Le plan a aussi son utilité dans de nombreux autres secteurs. Sous le consulat, puis sous l’empire, le cadastre a été réalisé pour l’ensemble des communes françaises. Ce plan ancien existe encore pour certaines communes et est qualifié de cadastre napoléonien. À son origine il avait comme seule vocation l’assiette de l’impôt foncier.

Depuis cette époque, le cadastre s’est modernisé. Sa mise à jour est de la compétence des Services départementaux des Impôts fonciers (SDIF). Depuis une réforme non achevée de la fin des années 2000, les Services des impôts des particuliers peuvent aussi être compétents en matière d’impôts fonciers. Mais ces fusions SIP-cadastre, dénoncées par les OS, ont tellement désorganisé les services que de nombreux SIP ont dû défusionner en urgence. À la désorganisation s’ajoutent les suppressions d’emplois et la dégradation de la formation des agents en charge des impôts fonciers.

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Or aujourd’hui les suppressions d’emplois dans les services topographiques sont telles que de nombreuses communes ne sont plus à jour. Dans certains services, la mise à jour est tout simplement gelée, dans d’autres les levés sont réservés aux bâtiments « emblématiques » ou aux seules constructions neuves ayant fait l’objet d’un permis de construire. Pour ne rien arranger, la DG charge les géomètres de traiter des listings de piscines et de bâtiments détectés par une intelligence artificielle (IA) dans le cadre de son foncier innovant.

L’intelligence artificielle est crédible comme outil de détection complémentaire, mais ne fera pas mieux qu’un géomètre quand il s’agit de dessiner le plan cadastral.

En lançant sans concertation son foncier innovant, la DG ne tire pas de leçon de l’échec de l’expérimentation ACCENTURE, qui avait coûté plus de 10 millions d’euros. Le but reste toujours le même pour nos énarques : remplacer des géomètres par des algorithmes, peu importe le coût financier et même s’il faut s’affranchir de toute éthique.

Pour 24,31 millions d’euros (chiffre qui va être revu à la hausse), la DGFIP se paie donc les services de CAPGEMINI et de GOOGLE en profitant d’un marché public opaque et en s’appuyant sur une sous-traitance offshore qui a un arrière-goût de dumping social. Dans le même temps on apprend qu’un salarié de CAPGEMINI est chef de service à la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP), alors même que cette direction est chargée de coordonner les missions de conseil commandées par l’État, notamment lorsqu’il s’agit de trouver un financement au foncier innovant. Lorsque la DITP a cosigné le contrat de plan du foncier innovant, elle était encore dirigée par Thomas Cazeneuve, auteur du livre au titre révélateur : « L’État en mode Start-up ». Il n’est donc pas étonnant de voir les signataires du « foncier innovant » s’enorgueillir des 300 suppressions d’emplois que permettrait leur projet.

Un conflit d’intérêt, du dumping social et des suppressions d’emplois. Voilà donc la recette du foncier innovant.

Concrètement, le premier outil développé par le foncier innovant a permis de détecter des piscines non évaluées. Malgré un taux d’échec très important, il peut donc être utilisé ponctuellement pour rattraper les fraudeurs. Les géomètres savent balayer une ortho-photo et détecter la présence d’une piscine de manière plus exhaustive et pour moins cher. Le logiciel a surtout détecté des piscines sur des secteurs où les géomètres étaient en retard dans leurs tournées pour cause de sous-effectifs.

Mais le bureau de gestion des missions foncières de Bercy se sent pousser des ailes et imagine pouvoir aujourd’hui dessiner le plan du ciel avec son IA. Or son algorithme intelligent ne sait même pas tracer une ligne droite. Et allez faire comprendre à une IA le principe de l’adaptation du levé au plan ! L’IA ne voit que la photo aérienne et n’a aucune idée de comment placer les objets au regard des limites de parcelles existantes. De même, la DG semble enterrer la règle du report des emprises de bâtiments. Le nouveau plan dessinera les toits et non pas les pieds de bâtiment alors que la DG nous annonce la prise en charge de la taxe d’aménagement par nos services et que les géomètres experts eux-mêmes calent leurs levés sur les pieds de bâtiments. Et on ne parle pas des architectes et des urbanistes qui n’ont que faire d’un plan des toits. Ce nouveau plan se fera donc à l’encontre de toutes les attentes de ses utilisateurs. Autant faire une croix au milieu des parcelles pour signifier la présence d’un bâtiment taxé quelque part à l’intérieur de celles-ci !

L’intelligence artificielle doit rester au service de l’humain. Ici elle est un outil au service de la destruction du service public. Derrière le mot « innovation », il n’y a aucune amélioration du service, bien au contraire.

Alors, que la DGFIP arrête de se rêver en start-up et qu’elle commence à écouter ses géomètres et ses agents plein d’idées !