Retraites et carrière longue : il ne fait pas bon avoir été malade

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La presse s’est fait l’écho récemment de la situation ubuesque d’un fonctionnaire exclu du dispositif dit "carrières longues" suite à un cancer durant sa carrière. Le syndicat national CGT Finances Publiques remet à disposition l’article publié dans le n° de juillet 2014 du mag syndical.

Alors que le gouvernement concède une nouvelle reculade face aux exigences du MEDEF concernant le compte pénibilité pour le privé, les fonctionnaires sollicitant un départ anticipé au titre des dispositions relatives aux « carrières longues » font face aujourd’hui à des désillusions. La cause provient de certaines dispositions prévues par l’article D16-2 du code des pensions civiles et militaires.

L’éligibilité au dispositif s’est accompagnée sournoisement d’un alignement sur les conditions du régime général, moins favorables au regard de la prise en compte des périodes de maladies, et notamment des congés de maladie ordinaires (CMO).

L’article L 25 bis du code des pensions civiles et militaires indique que « les périodes durant lesquelles les fonctionnaires ont été placés en congé de maladie statutaire ainsi que les périodes comptées comme périodes d’assurance dans un ou plusieurs autres régimes obligatoires au titre de la maladie, de la maternité et de l’inaptitude temporaire peuvent être réputées avoir donné lieu au versement de cotisations. » Ces congés statutaires sont définis par l’article 34 de la Loi n°84-16 portant dispositions statutaires pour la fonction publique d’Etat, et ils regroupent les CMO (2°), CLM (3°) et CLD (4°).

Ainsi, bien que les fonctionnaires malades continuent de cotiser durant leurs CMO, ces derniers sont pris en compte pour l’éligibilité au dispositif « carrières longues » selon les mêmes conditions que pour le privé. L’article D16-2 limite donc le nombre de trimestres pris en compte pour les périodes de congés maladie statutaires à 4 tout au long de la carrière.

Or, si les périodes en CLM et CLD ont bien été retracées tout au long d’une carrière, il n’en est pas toujours de même concernant les périodes en CMO, en particulier pour les périodes antérieures à l’informatisation des données.

Jusqu’à présent, le Service de retraites de l’Etat (SRE) se fiait aux relevés fournis par les services en charge de la préliquidation. Mais, une situation particulière a soulevé les problèmes de traçabilité : une demande de retraite anticipée dans ce dispositif laissait apparaître une période de temps partiel thérapeutique sans référence à un arrêt maladie.

La raison de cette situation est liée à la Loi n°2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, qui a modifié les dispositions de l’article 34 bis de la loi 84-16 concernant les modalités d’accès au temps partiel thérapeutique. Il est depuis possible de bénéficier d’un temps partiel thérapeutique au bout de 6 mois de CMO, et non plus seulement au sortir d’un CLM ou d’un CLD.

Cette situation a mis à jour le fait que les arrêts ordinaires n’étaient pas nécessairement retracés. Le SRE a donc demandé au service en charge de la préliquidation de reprendre les données de tous les dossiers en cours d’instruction depuis l’automne 2013. Les services RH de proximité ont donc été sollicités, puisqu’ils détiennent les éléments de carrière des agents concernés.

La reprise des éléments de carrière des agents concernés a donc pu mettre à jour des périodes de congés maladie qui n’avaient pas été pris en compte initialement. Pour certains agents, cela a pu impliquer de dépasser le plafond de 4 trimestres de congés maladies statutaires. Dans ce cas, l’éligibilité au dispositif « carrière longue » a pu être revu, puisque l’écrêtement de ces périodes de congés maladie ne leur permet plus de disposer du nombre de trimestres cotisés.

S’agissant d’une condition d’ouverture des droits, ils ne peuvent plus prétendre à un départ anticipé à la date initialement souhaitée.

Cela serait anecdotique s’ils n’avaient initialement reçus une réponse favorable à leur demande de départ anticipé. Si aucune communication générale n’a été faite par l’administration, les agents concernés ont été destinataires d’un nouveau courrier leur indiquant qu’ils n’étaient plus bénéficiaires du dispositif à la date souhaitée, leur départ étant repoussé à la date projetée à laquelle ils rempliront les conditions d’assurance requises. On comprend le désarroi pour ceux qui avaient déjà planifié leur futur proche de devoir changer leurs plans sans autre considération.

Le comble est que même la date de projection qui leur est faite reste incertaine, puisque comme ils ont atteint le plafond des 4 trimestres, il ne faut pas qu’ils tombent malade durant la période de service qu’il leur reste à faire. De plus, leur demande de liquidation de leur pension devant toujours être déposée six mois avant la date d’effet, on est en droit de s’interroger sur ce qu’il adviendrait dans l’hypothèse d’un arrêt maladie survenant durant ce laps de temps…

Au-delà de la méthode parfois déshumanisée, il est à noter que le décompte des périodes d’arrêt maladie est également problématique. Comme il l’a été indiqué, la traçabilité des périodes de CMO s’avère incertaine. A cela se superpose le fait que les modalités de reprise par les services RH locaux a également été fluctuante selon les données dont ils disposaient. Si dans certains départements il a pu être conservé trace des arrêts de travail transmis par les agents durant leur carrière, cela n’est pas évident sur des périodes pouvant porter sur près de 40 ans.

Certains décomptes ont ainsi pu être effectués sur la base des éléments tels que les fiches de notation des agents concernés (sur lesquelles étaient indiqués les jours d’absence pour le déclenchement du seuil d’évaluation). Cela pose alors une incertitude juridique quant à l’opposabilité de ce type s’éléments à l’ouverture des droits à retraite.

Pour la CGT Finances Publiques, le dispositif par les restrictions qu’il comporte ne répond à la réelle prise en compte de ce qu’est une longue carrière. L’exclusion des périodes de congés maladie au-delà de 4 trimestres occulte le fait que les salariés ayant commencé à travailler jeunes peuvent rencontrer des soucis de santé important durant leur vie professionnelle. Une vie professionnelle qui peut d’ailleurs s’avérer plurielle sur d’aussi longues périodes, en étant faite de réorientation, reconversion, acquisition de nouvelles qualifications.

Dans ce contexte, un léger rayon de soleil est cependant survenu. L’article D16-2 du code des pensions a été modifié le 19 mars 2014, et pour une fois dans un sens favorable aux agents. Désormais, les trimestres liés à la maternité sont pris en compte dans leur intégralité. Le champ des trimestres "réputés cotisés" a également été étendu à deux trimestres au titre des périodes d’invalidité, et deux trimestres supplémentaires de chômage indemnisé.

Tous les trimestres de majoration de durée d’assurance attribués au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité créé par la loi du 20 janvier 2014 seront également pris en compte. Mais ça ce sera à condition que le compte pénibilité soit réellement instauré.

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